Je viens de suivre un cours vraiment fascinant sur l’héritage spirituel amérindien, donné par un philosophe que j’aime beaucoup, mon maître à penser en quelque sorte : Jean Proulx, auteur de La Chorégraphie divine (1999; réédité en 2008), d’Artisans de la beauté du monde (2002) et, plus récemment, de L’héritage spirituel amérindien Le Grand Mystère (2009), coécrit avec Jacques Languirand. La vision cosmologique et spirituelle des autochtones m’est apparue des plus inspirantes. Selon elle, la nature et l’univers sont bienveillants et vivants et enseignent l’humain, qui peut en tirer de grandes leçons de sagesse.
Malgré ce qu’on peut en croire, la spiritualité amérindienne est de nature monothéiste. Le Grand Esprit, ou le Grand Mystère, est cet Être suprême, ou encore le Créateur, dont l’unique voix s’exprime par le moyen de plusieurs voies : grand-père Soleil ou Ciel (aspect masculin du divin), la Terre-Mère (aspect féminin du divin), les six grands-pères (les 4 directions, le haut et le bas), la Nature, les animaux, les plantes, etc. Et au centre se trouve l’homme qui, se tournant vers les quatre directions (est, sud, ouest et nord : encore des expressions diverses d’un même Esprit), y reconnaît symboliquement et respectivement les quatre moments de la journée (matin, midi, soir et nuit), les quatre éléments (eau, feu, terre et air), les quatre saisons (printemps, été, automne, hiver), les quatre temps de la vie humaine (enfance, maturité, vieillesse et mort), les valeurs fondamentales qui y sont directement reliées (vie/sagesse, amour/respect, détachement/acceptation et courage/paix), et enfin les quatre Nations (Rouges, Noirs, Jaunes et Blancs) qui habitent la Terre. De ce cercle sacré de la vie découle toute une éthique du respect de l’autre, de la Nature et du Grand Mystère qui s’exprime dans tous les êtres, vivants ou non, et les invite à chercher l’équilibre en eux en découvrant leur véritable raison d’être dans le cosmos et au sein du cercle de la vie… De plus, à ce cercle horizontal se superpose l’axe de la verticalité, appelé l’arbre de vie, qui tend l’homme entre le Ciel et la Terre-Mère, entre sa dimension spirituelle et son appartenance à la terre, entre la fierté d’être ce qu’il est et l’humilité de sa condition, entre le don et la gratitude…
Au sein de ce cours, une pensée, toute simple, m’a nourri, un brin de sagesse qu’on aurait intérêt à comprendre et à vivre en profondeur, avec ce que ça implique pour nos façons de vivre :
La Terre n’appartient pas à l’homme, c’est l’homme qui appartient à la Terre.
Ce changement de perspective m’a rejoint profondément. Moi, l’amoureux de la nature et des beautés de l’univers. Il redit la profonde appartenance de l’humain à la Terre d’abord : il ne se situe pas au-dessus! Avec cette vision, comment peut-on continuer à prendre avec avidité à la Terre-Mère qui nous porte et nous nourrit sans nous détruire nous-mêmes?
Loin de moi l’idée d’idéaliser cette tradition spirituelle. Mon intention consiste plutôt à en réhabiliter la richesse et à la ranger aux côtés des grandes traditions spirituelles de l’humanité, et ce, en faisant place à l’instauration d’une véritable « théologie amérindienne », selon les propos mêmes de Jean Proulx. Pour ma part, j’y ai décelé une spiritualité d’une grande maturité, favorable à la diversité, axée sur le bien-être de la communauté, l’équilibre personnel et le profond respect de la nature. Une tradition qu’on a trop souvent méprisé, relégué au rang d’un animisme primitif et accusé de superstition.
En tant qu’Occidental issu de la tradition chrétienne, je ne peux que m’incliner devant cette grande sagesse, qui mise sur les relations entre chaque être et l’interdépendance de toutes choses, et regretter que l’on ait si peu écouté ce que les Amérindiens avaient à nous enseigner au cours de l’histoire. Leur tradition spirituelle rejoint, sur bien des plans, les grands fondements de la tradition chrétienne. Toutes deux ne s’opposent pas et pourraient, en dépassant la méfiance, s’apporter l’une à l’autre. Bien sûr, tous les Amérindiens ne mettent pas en pratique toute la richesse de leur « sentier de beauté », qu’ils redécouvrent eux-mêmes de plus en plus en revenant à leurs racines, comme tous les chrétiens ne vivent pas selon les idéaux de leur propre tradition. Mais, en apprenant l’écoute et le respect mutuels, nos routes pourraient converger : l’heure est à la réconciliation, au pardon, à l’amitié et à la fraternité. De même, en tant que tradition millénaire, les Amérindiens auraient beaucoup à apprendre à nos sociétés occidentales pour les aider à forger les bases d’une véritable éthique environnementale planétaire et, à l’opposé du matérialisme et de l’économisme omniprésents, d’une manière de vivre et d’une vision de la vie qui font place au Grand Mystère.