On la surnommait La Negra. Originaire de l’Argentine, Mercedes Sosa était une chanteuse unanimement appréciée dans toute l’Amérique latine et une grande dame amoureuse du peuple. Ses chansons en ont témoigné. Ses engagements en ont fait foi. Sa carrière en a subi les contrecoups, elle qui a dû s’exiler à Paris, puis à Madrid, en 1979, pour fuir le régime dictatorial de son pays. Après une impressionnante carrière qui nous a permis « d’apprécier sa voix émouvante et profonde, sa grande humanité, la force de ses convictions, sa foi en la liberté et en la justice, et son soutien indéfectible aux moins bien nantis, paysans et ouvriers1 », elle nous a quittés le 4 octobre 2009.
En octobre, oui, en ce mois où nous célébrons l’Action de grâce, cette fête où nous sommes appelés à la gratitude, à la reconnaissance envers tout ce qui nous est donné par la vie, par ce Dieu d’amour qui n’a pas lésiné sur la beauté, la créativité et l’abondance pour nous offrir cette Terre généreuse à tous égards. Se peut-il que nous oubliions parfois cette grâce qu’est la vie elle-même? Je regarde les étoiles du ciel et je dis merci pour cette poésie qui nous fait saisir à la fois notre petitesse et notre précieuse rareté. Je happe un sourire sur le visage d’un inconnu et je dis merci pour cette éclaircie dans ma journée. Je regarde une œuvre d’art et je dis merci pour la grandeur de l’être humain, qui peut faire tant de belles choses quand il choisit de se respecter lui-même.
Mercedes Sosa, en plus de son talent indicible, s’est aussi consacrée à chanter la beauté et la dignité. « Les risques qu’elle a encourus à cause de ses prises de position en faveur de la démocratie, les menaces de mort qu’elle a reçues, le courage qu’elle a montré face à l’adversité2 » n’ont pas entaché sa foi en l’humain et en la vie, n’ont pas altéré son désir d’exprimer sa gratitude devant la prodigalité de la vie. En y pensant, j’ai tout de suite fait le lien avec sa célèbre chanson Gracias à la vida qui, bien que chantée en espagnol, sait nous toucher profondément et nous conduire tout en douceur vers la gratitude et à dire comme son interprète merci à la vie…
Merci à la vie qui m’a tant donné…
Elle m’a donné l’ouïe qui, dans toute sa portée,
enregistre nuit et jour grillons et canaris,
marteaux et turbines, aboiements et averses,
et la voix si tendre de mon bien-aimé.
Merci à la vie qui m’a tant donné…
Elle m’a donné le son et l’alphabet;
et avec eux, les mots que je pense et déclare:
mère, ami, frère et lumière qui éclaire
la route de l’âme de celui que j’aime.
Merci à la vie qui m’a tant donné…
Elle m’a donné la marche de mes pieds fatigués;
avec eux, j’ai foulé villes et flaques d’eau,
plages et déserts, montagnes et plaines,
et ta maison, ta rue et ta cour.
Merci à la vie qui m’a tant donné…
Elle m’a donné un cœur qui vibre
quand je regarde le fruit du cerveau humain,
quand je regarde le bien si loin du mal,
quand je regarde au fond de tes yeux clairs.
Merci à la vie qui m’a tant donné…
Elle m’a donné le rire et m’a donné les pleurs
Ainsi, je distingue le bonheur de la détresse,
les deux matériaux qui forment mon chant,
et votre chant qui n’est autre que mon chant,
et le chant de tous qui est mon propre chant…
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1. Éric Clément, «Mercedes Sosa, la voix de l’Amérique latine : la chanteuse du peuple » dans La Presse, 22 mai 2014.
2. Ibidem.